– “Je fais que des bières que j’aime brasser et boire de toute façon [ndlr : des bières fermentaires, rustiques]. Bon un jour on a quand même fait une NEIPA, histoire de. Ben on a tout vendu en quelques jours, alors qu’il nous reste encore des cartons de la grisette.
– “Du coup t’as fait quoi ?”
– “Ben on a rebrassé la Grisette”
Extrait de conversation entre HESPEBAY et MALPOLON
J’ai eu la chance, en février dernier, de pouvoir accompagner la brasserie Hespebay (Val d’Oise) pendant son premier Tour de France des bars à bières.
Tout au long de ce périple qui durera 3 jours et 3 nuits j’ai revécu ce que je considère comme le meilleur de la bière artisanale : des gens engagés, passionnés et passionnants, le goût du partage, de la coopération et l’amour du produit bien fait et qui a du sens. Donc, il faut que je vous raconte !
Un beau matin de janvier, Fabien (fondateur de la Hespebay) m’appelle. Il souhaite que je l’accompagne avec Emile (son collègue brasseur) dans un roadtrip Paris > Lyon > Montpellier > Toulouse > Paris pour participer à plusieurs soirées dans des bars partenaires avec les microbrasseries locales La Montagnarde et la Malpolon.
Le but de ma présence est de raconter ce périple à la lumière de ce qui anime et rapproche ces 3 artisans de la bière : participer à la (re)définition de styles de bières typiques du territoire français en brassant (et assemblant) des bières rustiques, qui incorporent aussi souvent que possible des ingrédients issus de leur terroir agricole local.
Ma réponse : « Où est-ce que je signe ?”
JOUR 1. LYON
HESPEBAY x LA MONTAGNARDE
« Fermentations mixtes et fléchettes »
17 février, j’arrive à Lyon par le train. Arrêt à l’hôtel pour le check-in, puis direction Orgao Beer house. Nous sommes chaleureusement accueillis par Samer, le gérant. Fanny et Christophe de la brasserie de la Montagnarde sont déjà là un verre à la main. La carte des bières est 50% pour Hespebay, 50% pour Montagnarde.

L’événement a attiré beaucoup de monde, l’ambiance est chouette. Je croise des ancien·nes collègues comme Thibault Schuermans de Bière à table, ou encore Julia Basso qui a rejoint Ninkasi. Il y a aussi Stéphane du célèbre Darts, ce lieu où des brasseurs·ses se sont déjà maintes fois perdu·e. Ceux qui savent, savent.
J’essaye de suivre les conversations entre Fanny, Christophe, Fabien et Emile, quand ça parle de levures et de fermentations. Il y a de belles énergies dans la salle. On échange sur les techniques, sur les barriques, sur les températures de garde et d’empâtage. Il y a des étonnements et des évidences. Ces 4 partagent une vision commune de leur artisanat et de ce qu’ils veulent raconter dans leurs bières. Il est en train de se passer quelque chose. Je prends des notes, des photos.
Discussion avec Nicolas Dumortier, co-organisateur du Lyon Bière Festival, dont le thème cette année est la confrontation entre tradition et innovation et la mise en avant de styles plus anciens et plus naturels (l’invité d’honneur cette année étant tout de même Jean Van Roy de la célèbre brasserie Cantillon à Bruxelles).

Nous rencontrons aussi Martin Gillet, fondateur de la jeune brasserie les Danaïdes, passionné lui aussi de fermentations et d’assemblage, de barriques.
Et donc là, je réalise que tout le monde dit la même chose : une envie de boire autre chose et cette autre chose s’appelle : Saison, grisette, fermentations mixtes ou plus naturelles, bières d’assemblage, bières de terroir…
Et il y a aussi cette envie d’aller plus loin pour les brasseurs. Peut-être essayer de raconter ce que la bière artisanale française pourrait être, au-delà des styles déjà connus et reconnus, et des styles anciens.
On retrouve chez Hespebay et Montagnarde des styles de bières communs : grisette, saison, assemblages barriqués; mais chaque brasseur y apporte sa touche personnelle. La Montagnarde en a fait sa spécialité depuis plusieurs années. La Hespebay, plus jeune, s’est très vite lancée dans cette voie. Une partie de leur démarche à toutes les deux s’articule également autour de l’infusion d’ingrédients locaux que les brasseur·euses vont chercher eux-même (fleurs de pissenlits, pommes des vergers voisins, raisins de la région, herbes des montagnes voisines). Je note aussi que l’acidité est une saveur que l’on retrouve beaucoup plus dans les bières de ces brasseries. Ce sont de premières pistes intéressantes.
La soirée se termine sur les Lacs du Connemara, les shooters à l’alcool local, et les danses endiablées… je rentre à l’hôtel et laisse les brasseurs finir au Dartz jouer aux fléchettes…

Coups de coeur bière de la soirée | |
Saison s/ Pommes, 5,5% alc. Hespebay *assemblage de la grisette de la brasserie et d’un cidre de pommes (de la vallée où se situe la brasserie) fermenté à la brasserie | Bonne pioche, 6,2% alc. Montagnarde *bière acidulée fermentée avec levain (levures et bactéries) maison*Blé cru local d’un producteur amateur qui fait pousser des variétés anciennes de blé en Savoie + malt de la région * Fermentée et élevée sur lies 18 mois en fût de Volnay Premier cru |
JOUR 2. MONTPELLIER
HESPEBAY x MALPOLON
« Des barriques et des pêches molles »
Nous quittons Lyon en voiture. Autoroute du soleil, on se croirait en vacances, Emile insiste pour qu’on écoute Le sud de Nino Ferrer histoire de coller parfaitement à l’ambiance. J’ai assez hâte d’en savoir plus sur la vision que Rémi, brasseur de la Malpolon, a de son métier.

Arrivé·e·s à la brasserie Malpolon, nous mangeons quelques pizzas au soleil, buvons des bières et entretenons des discussions animées sur les problématiques qui agitent le petit milieu brassicole. On parle prix des bières, valorisation de l’artisanat, logiques de distribution, scène brassicole montpelliéraine.
Extrait de conversation :
Rémi : “Je fais que des bières que j’aime brasser et boire de toute façon [ndlr : des bières fermentaires, rustiques]. Bon un jour on a quand même fait une NEIPA, histoire de. Ben on a tout vendu en quelques jours, alors qu’il nous reste encore des cartons de la grisette [Tanti Auguri].
Fabien : “Du coup t’as fait quoi ?”
Rémi : “Ben on a rebrassé la Grisette”
Les brasseurs rigolent en se disant que la bière française c’est peut-être celle qu’on ne vend pas, finalement. C’est un peu triste comme idée. Je crois qu’on achète plus facilement ce qu’on connaît et ce qu’on trouve facilement, et c’est vrai qu’en cave à bières aujourd’hui il est plus commun de croiser des NEIPA que des grisettes…
On visite la brasserie et c’est l’occasion pour moi d’en apprendre un peu plus sur les techniques d’assemblage. Faut savoir que Malpolon a un chai, une pièce remplie de barriques de chêne. En effet, la brasserie excelle dans la pratique de l’assemblage. J’apprends donc quels sont les critères de sélection des barriques, comment se développe l’acidité, comment se passent les dégustations…
Comme pour la Montagnarde et la Hespebay, la Malpolon a la même envie de valoriser son territoire par le biais d’un savoir-faire singulier qu’elle développe en fonction des opportunités et saveurs locales. Le terroir n’est pas seulement une notion géographique, le sol : ce sont aussi les humains et leur pratique sur ce territoire où ils sont implantés.
Time to digérer la pizza : on part faire une sieste dans un parc au soleil. Puis direction le Drapeau Rouge.
Drapeau Rouge, c’est le bar monté par Thomas Barbera, fondateur du célèbre site Happy Beer Time. Le lieu est fort joli, rempli, la terrasse est immense, la choucroute de la mer fait plaisir. En pression c’est 50% Hespebay et 50% la Malpolon, avec au menu : grisettes, gose, saison, bière de garde, grape ale… Le ton est donné. Ce soir, on boit du rustique, de l’acide et du malté. Et au vu de l’affluence dans le bar, qui ne désemplit pas de la soirée, il semblerait que ça convienne à tout le monde ici.

On déguste la Cuvée Louis, une interprétation de la bière de garde par la brasserie Auval au Québec – un bijou d’équilibre, de finesse et d’acidité. On est bien loin des bières de garde que l’on trouvait en France il y a quelques années. Une très belle source d’inspiration pour Fabien. C’est vrai que je n’y avais jamais vraiment pensé en ces termes mais, la bière française historique est une source d’inspiration pour nos voisins Québécois. En ce sens, ils nous montrent l’exemple.
La Hespebay, la Malpolon et la Montagnarde s’inscrivent clairement dans le sillon de cette scène microbrassicole québécoise qui fait revivre ces vieux styles que l’on peut attribuer au nord de la France.

Nous terminons bien sagement la soirée. Je repense à tout ça, à tout ce que je viens de goûter. Et si plus de brasseries françaises se lançaient elles aussi dans la quête d’une identité brassicole singulière ? Pour ça, la réinterprétation de ces styles ancestraux locaux est un angle d’attaque super intéressant et cohérent, en fait.
Coups de coeur bière de la soirée | |
Monster Pineau, 10% alc. Hespebay *bière foudroyante d’orge et de seigle *maturée quelques mois en foudre de pineau des Charentes *pain de seigle, caramel, saveurs vineuses | Grape blanc, 7% alc. Malpolon *Grape ale (bière hybride – vin) élevée en barrique et assemblée *collaboration avec le domaine de Saumarez (Murviel-lès-Montpellier) |
JOUR 3. TOULOUSE
100% HESPEBAY
« Voyage au Schlaguistan »
On ne pouvait pas continuer notre tournée sans s’arrêter voir la mer. Départ de Montpellier pour Sète : nous goûtons les tielles locales, et les pêches molles sur les conseils avisés de Rémi (grand fan de pêches molles…). Et, comme nous aimons VRAIMENT manger, nous nous attablons chez Fritto, excellent petit resto spécialisé dans les fritures de poisson (j’en rêve encore la nuit) qui propose les bières de la Malpolon.
Arrivée à Toulouse. Je découvre enfin le bar la Loupiote et rencontre son adorable équipe, Vincent, Leïla, Julian et Léna (de la cave à bières mitoyenne).

Vincent, le gérant, est à l’origine de ce Tour de France. Il était le premier à proposer de la bière Hespebay à Toulouse, simplement parce qu’il a aimé et que c’était différent.
Il fait partie de ces personnes engagées qui sont force de proposition dans ce milieu. Lui et son équipe vendent ce qu’ils aiment. Et ils aiment la diversité. Leurs clients viennent pour ça, pour ce conseil qui va aussi les bousculer dans leurs habitudes. Et là je me dis qu’il serait chouette que les styles de bières français soient des styles qui se vendent plus (pour reprendre la blague de Rémi et Fabien). Pour ça, il faudrait peut-être en parler un peu plus souvent; être force de proposition pour bousculer un peu les habitudes de consommation.
20h, c’est le premier perçage de fût de la Grisette de soif Hespebay, qui a satisfait tout le monde. Et là encore, soirée pleine de rencontres. Des brasseurs-amateurs de l’asso locale Les Forces du Malt, venus en groupe pour découvrir cette singulière brasserie francilienne. Les conversations font écho à celles que nous avons eues à Lyon ou Montpellier. Nous croisons cette consommatrice qui nous dit qu’elle n’a jamais aimé les bières houblonnées et qu’elle ne boit que des Saisons, “ça tombe bien, on adore les Saisons”.
Nous dégustons la Parasol (une Saison aux bourgeons de pin) avec l’un des brasseurs de la jeune-future brasserie Ellipse. Même philosophie que la brasserie Hespebay : exploration des ingrédients locaux, expression d’un terroir et de sa typicité. C’est rustique, “sauvage”, équilibré.

Je ne dirais pas qu’il y avait beaucoup moins d’équilibre dans le shooter de la maison, modestement nommé Louis la Brocante, à base de vin rouge, de Suze, et j’ai oublié le reste. Mais on n’était pas sur le même créneau, disons. La soirée se termine, nous sommes bien fatigués exténués de ces 3 jours et 3 nuits, mais vraiment enrichis de ces rencontres.
Les coups de coeur bière de la soirée | |
Grisette bio, la blonde de soif, 4,5% alc. Hespebay *ultra désaltérante *finale sèche et épicée | Parasol, 4,5% alc., Ellipse *Saison aux bourgeons de pin *base de blé cru et malt d’orge *blend de deux souches de levures (Kveik Voss, Farmhouse Lituanienne Simonaitis) |
JOUR 4. RETOUR A PARIS
Epilogue
Dimanche. L’heure de quitter Toulouse. Avec des images et des conversations plein la tête. On fait le bilan : je retiens de ce séjour beaucoup, beaucoup de positif. J’ai retrouvé le monde de la bière tel que je l’imaginais et l’aimais. J’ai tellement aimé l’accueil et l’ambiance de chaque bar, chacun si différent. J’ai tellement bu aucune IPA pendant 4 jours.
Chacune à sa manière, les brasseries Hespebay, Montagnarde et Malpolon brassent des styles communs : des grisettes, sèches, désaltérantes, des bières avec des ingrédients locaux que je n’avais pas encore vus dans d’autres bières, des fermentations mixtes/naturelles d’assemblage, qui mélangent savamment équilibre et acidité, des saisons, complexes, rustiques et désaltérantes tout à la fois.
J’avoue que ma vision de ces styles ancestraux était un peu dépassée : c’est cool mais c’est pas un peu désuet tout ça ? J’avais visiblement tort car, au contraire, c’était original, nouveau, actuel, ça contrastait parfaitement avec ce que j’ai eu l’habitude de boire ces dernières années.
Ces 3 brasseries partagent une vision commune de leur artisanat. Cette vision me semble presque proche de celle de vignerons ou de cidriers traditionnels. Ils sont passionnés, créatifs et leur envie de parler de ce qu’ils aiment et de ce qu’ils font est communicative (je ne veux boire que des saisons désormais).
Ce que je retiens également de ce voyage c’est la question qui anime ces brasseuses et brasseurs, comment susciter de l’intérêt pour des démarches brassicoles qui sortent des tendances très houblonnées et qui valorisent le terroir local, des démarches plus singulières, plus ancrées dans notre territoire ? Comment démocratiser l’acidité dans la bière ? Comment préserver la diversité des styles et des saveurs pour éviter la tendance qui tend à l’uniformisation ?
C’est à la Loupiote que j’ai eu un début de réponse. Il me semble évident que la préservation d’une diversité dans l’offre de bière et la promotion des styles plus rares est un effort collectif qui implique tous les acteurs de la filière : les brasseries, distributeurs, revendeurs et consommateurs. Proposer des bières de type grisette, saison, bière de garde, fermentation mixte, est un acte presque engagé aujourd’hui parce que la rotation des stocks sur ces styles n’est pas la même que d’autres (mais ça va changer, et vite, j’en suis persuadée).
Ces 3 brasseries ne sont évidemment pas les seules et les premières à réinterpréter styles anciens et fermentations naturelles. J’aimerais bien voir encore plus d’artisans suivre ce même chemin. Et trouver plus facilement ces styles, partout, notamment dans les bars. J’ai hâte d’en découvrir plus sur cette nouvelle scène brassicole qui se donne pour mission d’essayer de dessiner les contours de nouveaux styles de bières français, et de valoriser leur territoire et ce qui en fait sa richesse.
En ce qui me concerne, j’ai entendu dire qu’il y aurait un Hespebay Tour de France Saison 2 (dans le Nord) pour continuer cette exploration avec des brasseries locales : j’ai TELLEMENT hâte !
Pour aller plus loin sur le sujet :
Pendant que cet article était en préparation et rédaction, d’autres chouettes ressources sont parues sur le sujet :
– Alexandra Berry, L’avènement des Wilds, le filon brassicole français ?
– Arthur Farina, brasserie Le Soupir, à écouter dans le podcast « La craft beer a-t-elle un terroir ? »
– Podcast Sirotons le houblon avec Fabien : La France n’est pas un pays de bière ! saison 1 épisode 9
Bravo et merci de nous avoir emmené avec toi sur la route à travers cet article ! Des questionnements et des analyses très éclairants sur les styles et les visions de la bière ! Passionnant à lire !
Attention toutefois à ne pas abuser des Louis la Brocante 😀
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Génial.
Merci de ce travail. Nous sommes nombreux à vouloir revenir aux fondamentaux, à l’origine. L’avenir restera toujours le passé
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J’ai eu la chance de rencontrer l’équipe de Hespebay à la St Malo Craft beer expo, et non seulement ils sont adorables, mais leurs bières sont vraiment délicieuses, fines, originales, bref excellentes !
Au plaisir de vous revoir l’année prochaine !
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